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Le symbole du "Yin-yang" sur les enseignes de l'empire romain?

par Giovanni Monastra

«Nouvelle Ecole», 50, 1998 [ed. it. «Futuro Presente», a. IV, n. 8, inverno 1996].

traduit de l'italien par Philippe Baillet

La Notitia dignitatum

La Notitia dignitatum est un texte antique d'une indiscutable importance: on pourrait la définir comme une "énumération des charges", une "liste des fonctions officielles" de l'administration civile et militaire de l'Empire romain à la fin du IVe siècle et au début du Ve siècle ap. J.-C. Son titre complet est Notitia dignitatum omnium tam civilium quam militarium ; elle est divisée en deux sections, conformément à la bipartition Orient-Occident qui caractérisait désormais l'Empire..
Les charges sont d'abord énumérées dans un index, puis dans le détail. On y trouve indiqués les titres officiels et représentées les enseignes des différents offices et détachements. La Notitia commence par les préfets du prétoire et les autres fonctions de l'administration centrale, avant de passer aux autorités des provinces, dont elle définit les compétences territoriales et les fonctions ; elle mentionne aussi les troupes, parfois constituées en Occident de tribus barbares, que commandent ces autorités. On sait que ce document n'a pas été compilé en une seule fois: selon les études les plus récentes, la partie concernant l'Empire romain d'Orient fut rédigée à partir de 395 ap. J.-C. environ, celle concernant l'Empire d'Occident entre 410 et 430 environ, avec quelques variantes dues à des mises à jour.
A condition d'être utilisée de manière critique, la Notitia est donc un document historique d'un extrême intérêt, une source précieuse pour comprendre la structure impériale aux IVe-Ve siècles, son organisation dans les domaines civil et militaire. En raison de sa grande valeur documentaire, elle a attiré l'attention de plusieurs historiens de la romanité, dont Mommsen, Altheim, Seeck, Mazzarino, Cameron, Clemente. On doit à ce dernier, professeur d'Histoire romaine à l'université de Florence, l'un des meilleurs travaux sur le sujet1, auquel on peut ajouter le livre de Pamela Berger, historienne de l'art antique et spécialisée dans l'étude de l'iconographie2.
Un point important concerne l'origine du document, donc l'identité de ses rédacteurs, que le texte ne précise pas. Comme le souligne Clemente, de nombreux éléments permettent d'exclure que la Notitia, telle qu'elle nous est parvenue, ait été rédigée par un particulier, et ce à cause de la richesse des informations qu'elle contient, très difficiles à obtenir pour des personnes étrangères aux milieux officiels. En effet, si l'on compare la Notitia à un texte analogue par les objectifs mais d'origine privée, compilé grâce à l'assemblage acritique de sources multiples et contradictoires (nous voulons parler du laterculus Polemii Silvii), on relève une profonde différence qualitative et quantitative.
Il faut donc conclure que la Notitia fut écrite dans les milieux de l'administration impériale3, d'Occident selon toute probabilité, du moins pour ce qui concerne la version parvenue jusqu' à nous. En effet, les corrections que l'on y rencontre, explicables par des mises à jour, semblent intéresser principalement la partie occidentale de l'Empire. Cameron en limite l'importance documentaire à propos de l'administration civile et militaire romaine, affirmant que la Notitia, en raison de sa genèse composite, est un texte plus normatif que descriptif ; selon cet auteur, il faut recourir à d'autres sources pour démontrer, par comparaison, que la Notitia rapporte toujours bien l'organisation effective de l'Etat4).
Au-delà de ces réserves, que partagent d'ailleurs seulement certains spécialistes, le fait est que la Notitia appartient à une tradition éprouvée, peut-être inaugurée dès le règne d'Auguste, quand fut ressenti "le besoin d'un recueil d'informations qui fournirait à l'empereur et, par conséquent, à ses offices centraux, un tableau complet de l'organisation administrative et militaire"5 de l'Empire. La Notitia fait donc penser à un "annuaire" au sens large, présenté sous une forme luxueuse avec ses très nombreuses décorations polychromes, et offrant une documentation détaillée: un annuaire que la haute administration rédigeait pour l'empereur6.
Selon Pamela Berger, la Notitia est un document qui "cherche à perpétuer l'héritage impérial romain à une époque où il ne conservait plus grand-chose de sa force ou de son prestige antérieur. [...] La Notitia exprime sans équivoque une idéologie du pouvoir hiérarchique un pouvoir qui émane de l'empereur_ [...] et se fait sentir jusque dans les provinces les plus lointaines"7.
Nous ne possédons aujourd'hui que des copies d'une copie du manuscrit d'origine. Il importe donc de parler de la transmission compliquée de ce texte jusqu'à l'époque moderne. L'ensemble des données relatives aux fonctions et aux enseignes, avait été reproduit, probablement au IXe siècle, dans le Codex Spirensis8, le "manuscrit de Spire", ville située en Rhénanie-Palatinat, manuscrit dont furent ensuite faites directement au moins quatre copies. Comme Sabbadini l'a démontré il y a bien longtemps, ce manuscrit, conservé durant le Moyen Age dans la bibliothèque de la cathédrale de Spire après être quasiment tombé dans l'oubli pendant plusieurs siècles, fut découvert par un "Italien, Pietro Donato, patricien vénitien, évêque de Padoue de 1427 à 1447, qui, présent au concile de Bâle en 1436, le fit venir de Spire et le recopia lui-même"9. Cette reproduction est actuellement conservée à la Bodleian Library d'Oxford. Les trois copies postérieures, dont chacune porte le nom de la ville où elle est à présent conservée, sont le manuscrit viennois (Vindobonense), qui date de 1484, le manuscrit de Paris (XVe siècle), et le manuscrit de Munich, peut-être le meilleur exemplaire, car recopié avec un soin et une attention extrêmes10 par des clercs, à Spire, entre 1544 et 1551, avant d'être offert au comte palatin Otton Henri, comme on le déduit d'une inscription.
Après cette date, on perd la trace du manuscrit d'origine, dès lors considéré comme perdu à jamais. D'autres copies furent faites à partir des quatre exemplaires mentionnés. Les spécialistes d'histoire romaine s'accordent pour estimer que les manuscrits en notre possession sont pleinement fidèles au texte d'origine, y compris pour ce qui concerne les illustrations, si l'on excepte certaines influences du style typique de l'époque où travaillèrent les copistes. Les quatre manuscrits eux-mêmes se ressemblent sous bien des points de vue, en dépit d'inévitables différences inhérentes à la tradition manuscrite. L'iconographie qu'on y trouve présente d'intéressantes affinités avec des exemples d'art antique et du Bas-Empire, comme l'ont démontré Altheim, Berger et d'autres auteurs.

Enseignes et symboles

Au-delà de l'information que la Notitia offre sur la répartition administrative et militaire du Bas-Empire, ce document présente un autre aspect très important, qui relève du domaine du symbolisme métaphysique, religieux et sapientiel. Nous voulons parler de ce que l'on peut tirer de l'étude des différentes enseignes à quatre couleurs: jaune, bleu, rouge sombre et blanc-, qui sont minutieusement reproduites dans la Notitia dignitatum et attribuées aux différents détachements impériaux. C'est sur cet aspect que nous désirons concentrer notre attention.
On va voir en effet toute l'importance que revêt ce manuscrit en tant qu'archives, très fiables, de symbolisme du Bas-Empire. On sait que plus on remonte dans le temps, plus le sens de toutes les formes de l'existence humaine apparaît inséparable du sacré, y compris en Occident: rien n'est laïque dans l'acception moderne, tout laisse transparaître un ordre de connaissances sapientielles, d'une profonde cohérence, de sorte qu'il est peu crédible d'expliquer la présence de signes et de symboles par un souci esthétique ou par des motifs simplement profanes, matériels. Le document dont nous parlons en fournit plusieurs exemples significatifs.

"Sur plus de vingt pages a écrit Franz Altheim-, la Notitia dignitatum contenait près de trois cents enseignes des détachements militaires du Bas-Empire, représentées à l'aide de couleurs. Dans ce très ancien livre héraldique, on trouve beaucoup de choses qui ne correspondent plus à la conception de l'Antiquité gréco-romaine. Les reproductions de symboles originaires d'Europe centrale et d'Europe du Nord occupent une grande place. On reconnaît des animaux de trait et des décorations pour les chars, courants chez les peuples asiatiques et d'Europe orientale, ou bien des runes germaniques employées, selon le vieil usage, comme des symboles et non comme des signes phonétiques. Sur l'un de ces dessins apparaît Wodan, sous une forme qui rappelle le divin porteur de lance des graffitis visibles sur les roches de Bohuslan, du Gotland oriental et du site de Val Camonica. On rencontre un symbole très ancien comme la rune de l'élan sur les enseignes de troupes illyriennes ou celtiques.
La plupart des enseignes se rapportent aux astres, surtout au soleil et à son cours. Ce sont des étoiles ou des disques, qui envoient des rayons en tout sens. A côté d'eux, il y a des dessins en forme de roue, qui rappellent des signes analogues sur les pierres gravées, ou la roue celtique, indubitable symbole du soleil. [...] Chez les troupes germaniques, on rencontre le croissant de lune, liée au disque solaire.
Des cercles concentriques ont une signification analogue: eux aussi sont reproduits sur les roches de la Scandinavie, chez les Celtes et les Illyriens. La croix gammée, autre symbole typique du soleil, apparaît sous de nombreuses variantes. [...] Le symbolisme solaire, dans ses différentes expressions, inspire près de la moitié des enseignes qui figurent dans la Notitia dignitatum11."

Nous avons cité longuement Franz Altheim, grand historien de la romanité, parce qu'il décrit en résumé, mais de façon efficace, le contenu symbolique de ce manuscrit du Bas-Empire. Plus tôt, Altheim avait déjà fait d'importants renvois à ce texte, par exemple dans un long article paru en Allemagne en 1938 mais qui n'a jamais été traduit en italien12. Dans cet article, le savant allemand, approfondissant certaines études d'Alfoldi, identifie de manière détaillée les runes qui apparaissent, chacune à plusieurs reprises, sur les armoieries de la Notitia Dignitatum: othila, jera, inguz13. Dans certains cas, ces runes sont associées à des cornes qui renvoient au taureau (et non au bélier), dont la stylisation "abstraite-linéaire [...], forme originairement germanique"14, ressort d'une série cohérente de données, depuis les gravures rupestres de Tanum et du Val Camonica jusqu'à la plaque gravée de Zuschen. Cela s'accorde avec le fait que le taureau est, "outre le sanglier, l'ours et le loup, l'animal auquel le guerrier germanique est comparé et dans lequel il se transforme parfois"15 ; ceci est d'ailleurs confirmé par les figures représentées sur le vestige en bronze provenant peut-être d'un casque de Bjornhofda (Hollande).

Parlant de la valeur des enseignes sacrées, René Alleau a souligné que, par exemple, "le labarum de Constantin ou l'oriflamme dans les traditions médiévales françaises ne sont pas de pures conventions sociales et profanes. Ces enseignes avaient un sens magico-religieux parce qu'elles étaient chargées d'un pouvoir mystérieux que l'on estimait capable d'assurer la victoire à l'armée qui arborait ce symbole sacré"16. En effet, l'essence du symbole, c'est qu'il renvoie au non-humain, au transcendant ; par suite, le symbole possède une valeur objective.

Le Yin-Yang a Rome?

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Nous avons vu plus haut qu'Altheim a décelé, parmi les enseignes de la Notitia dignitatum, la présence de décorations des chars typiques des peuples asiatiques, en entendant par là, cependant, les peuples du Moyen-Orient, comme cela résulte du contexte du livre d'où nous nous avons tiré la citation. D'une manière générale, l'historien allemand ne souligne en effet que le symbolisme attribuable aux populations indo-européennes. Il ne fait aucune allusion à la présence d'au moins une enseigne17 qui représente un symbole bicolore, jaune et rouge sombre (fig. 1), semblable en tout, graphiquement parlant, au Taiji (*) de la tradition chinoise Le yin et le yang y sont appariés, noir le premier et blanc le second (fig. 2), dans leur représentation "dynamique", exprimée à travers un mouvement dextrogyre. Cette enseigne est celle des Armigeri, inclus dans la section (chapitre V) des Insignia viri illustris magistri peditum, c'est-à-dire des détachements d'infanterie, de l'Empire romain d'Occident.

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fig. 1 - Page de la Notitia dignitatum avec des symboles solaires et le "yin-yang" représenté dans sa version "dynamique", dextrogyre (deuxième rangée en partant du bas, avant-dernière enseigne en partant de la gauche) ; c'est le symbole des Armigeri de l'Empire romain d'Occident. Dans l'original, les symboles sont polychromes ; dans l'édition de Seeck, en noir et blanc, les couleurs sont rendues par différentes hachures. Les hachures horizontales correspondent au bleu, les hachures verticales au rouge sombre, le pointillé au jaune. Le blanc, naturellement, est rendu comme tel. L'un des deux points présents dans la partie opposée n'est pas de la couleur complémentaire, même s'il se détache sur le fond: on ignore s'il s'agit d'une erreur de recopiage, présente dès le Codex Spirensis, ou bien si le symbole originel était réellement ainsi.

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fig.2 - Le Taiji avec le yin et le yang dans une figuration dextrogyre (à gauche) et sinistrogyre (à droite), deux possibilités coprésentes dans la symbolique chinoise.

Nous avons retrouvé le même symbole, mais obéissant cette fois à un mouvement sinistrogyre, avec de très légères modifications et sans couleurs (fig. 3), dans l'ouvrage compilé par Sigismundus Gelenius, édité à Bâle en 1552 par Hieronymus Frobenius (fig. 4). Selon Clemente, on a utilisé pour ce livre "une tradition différente" du Codex Spirensis18, alors que selon Pamela Berger il s'agit d'une copie de la Notitia, la première à avoir été imprimée, rédigée directement à partir du texte médiéval désormais perdu19.

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fig.3 - Planche avec des symboles de plusieurs détachements militaires de l'Empire romain d'Occident, contenue dans le livre édité à Bâle en 1552. Dans ce texte également, les Armigeri ont le yin-yang pour emblème, mais il est cette fois représenté sous une forme légèrement différente de celle qui figure dans l'édition de Seeck. En effet, il n'y a pas de différenciation chromatique, l'un des deux principes enveloppe l'autre et le mouvement est sinistrogyre.

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fig.4 - Page de titre de l'ouvrage édité par Frobenius à Bâle en 1552. Selon Clemente, ce texte fut compilé en utilisant "une tradition différente" de celle du Codex Spirensis.

A côté de cette enseigne, signalons aussi celle des Thebei (fig. 5), appartenant à la même section20. Cette enseigne, elle, est assimilable au yin-yang chinois dans sa version "statique" (fig. 6): le symbole est alors constitué d'au moins trois cercles concentriques, divisés par le diamètre en demi-cercles bicolores, les couleurs étant opposées et alternées, si bien que sur chaque moitié les deux couleurs se succèdent selon un ordre inverse à celui de la moitié opposée. Dans ce cas également, nous retrouvons le jaune et le rouge sombre, au lieu du blanc et du noir.

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fig.5 - Sur cette page de la Notitia dignitatum, le yin-yang apparaît dans une version "statique" (troisième rangée en partant du bas, emblème central), qui présente les mêmes couleurs que la version "dynamique" (cf. fig. 1), le jaune et le rouge sombre. Il constitue l'emblème des Thebei, eux aussi intégrés à l'armée de l'Empire romain d'Occident.

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fig.6 - Le "Diagramme du Suprême-Faîte" (Taiji Thu) de Chou-Tun (1017-1073). Le deuxième cercle en partant du haut représente le yin-yang statique ; il est encadré par l'inscription, à gauche, "Yang, mouvement", et par l'inscription, à droite, "Yin, retraite". En dessous du cercle sont mentionnés les cinq éléments. On lit à gauche du troisième cercle en partant du haut: "Le Tao de Chien, qui perfectionne la masculinité", et, à droite: "Le Tao de Khun, qui perfectionne la féminité". Sous le dernier cercle, on lit: "Les myriades de choses qui sont sujettes à la transformation et à la génération. ".

A notre connaissance, aucun des historiens de la romanité, y compris ceux attentifs aux influences culturelles d'origine asiatique, comme Franz Cumont, n'a relevé ce fait, en soi pour le moins digne d'intérêt. Même Pamela Berger n'y a pas prêté attention, peut-être parce qu'elle était principalement soucieuse d'une recherche "stylistique" sur le contenu artistique de la Notitia. On peut en dire autant des sinologues, dont aucun, de toute évidence, ne connaît bien l'iconographie de la Notitia dignitatum, ni n'a reçu d'éventuelles informations de la part des spécialistes de l'Antiquité ou du symbolisme. En effet, nous avons consulté l'essentiel de la littérature consacrée aux rapports culturels entre Orient et Occident, mais n'avons rien trouvé à ce sujet. Si cette lacune devait se confirmer, elle ne pourrait que nourrir quelques réflexions désabusées sur une certaine spécialisation à Ïillères, qui ne sait "voir" que ce qu'elle connaît bien et poursuit ses recherches sans jamais sortir des étroites limites de son propre domaine.
Naturellement, si l'on admet la validité historique de la donnée ici présentée, plusieurs hypothèses restent ouvertes sur sa signification symbolique dans un cadre occidental et sur son origine (transmission verticale "ésotérique", convergence figurative, diffusion horizontale, etc.). Dans une optique radicalement diffusionniste, l'orientaliste française Luce Boulnois, analysant dans un livre récent les contacts qui existèrent entre la Chine et l'Europe durant l'Antiquité gréco-romaine, a écrit: "Pour ce qui concerne les deux grands systèmes de pensée chinois, le confucianisme et le taoïsme, on peut affirmer que pas même une miette n'en avait pénétré en Occident [...], ni oralement, ni par écrit. [...] Il n'arriva aucune idée typiquement chinoise, comme le concept fondamental des éléments complémentaires Yin et Yang"21. D'autres auteurs, dont Joseph Needham lui-même, très attentif aux relations entre Chine et Occident dès les origines et dans tous les domaines, tendent à admettre que certaines informations sur le confucianisme arrivèrent en Europe durant les premiers siècles de l'ère chrétienne22.
Pour sa part, S. Mahdihassan, faisant référence à de possibles contacts entre le monde alexandrin et les alchimistes chinois, suppose que l'Ouroboros, le serpent bicolore qui se mord la queue, est un "analogue" du yin-yang ou, mieux, exprime la même idée que la représentation du yin-yang ; mais ce chercheur, lui aussi, ne fait pas allusion à la Notitia dignitatum23.
Pourtant, la rigide conception diffusionniste des phénomènes culturels et religieux, si répandue parmi ces chercheurs, aurait pu trouver, dans la donnée en question, de quoi nourrir différentes spéculations sur la migration des symboles le long des voies et axes commerciaux. Certes, il ne s'agit pas de la première découverte dans l'Occident ancien d'un symbole comparable au yin-yang chinois. Mais le fait est que les rares vestiges retrouvés jusqu'à présent sont difficiles à interpréter: ainsi des décorations apparues à partir du IIIe siècle av. J.-C. dans la sphère culturelle celtique24. En effet, il s'agit de rinceaux séparés par une ligne en forme de S, mais où il n'y a pas compénétration d'un élément complémentaire dans l'autre, à l'instar du petit cercle ou point noir inscrit dans la partie blanche du yin-yang et du point blanc inscrit dans sa partie noire.
Il faut en outre souligner que, sur les objets manufacturés celtiques, les deux parties ne sont pas toujours différenciées par la couleur, ce qui est le cas du symbole chinois. L'analogie s'avère donc plutôt partielle. On doit néanmoins signaler que quelque chose de semblable apparaît dans une mosaïque placée sur le seuil d'une maison romaine de Sousse (Tunisie), où l'artiste s'est servi de teintes différentes pour les deux moitiés du cercle, mais n'a pas inséré dans chaque demi-cercle un point de couleur différente25.

La migration d'un symbole

Revenons aux deux enseignes de la Notitia dignitatum, à leur signification et à l'origine historique de cette iconographie. Mais il sera bon, pour commencer, de rappeler la valeur symbolique que revêt le yin-yang pour les Chinois. "La tradition extrême-orientale, dans sa partie proprement cosmologique -écrit René Guénon- attribue une importance capitale aux deux principes, ou, si l'on préfère, aux deux catégories qu'elle désigne par les termes de yang et de yin : tout ce qui est actif, positif ou masculin est yang, tout ce qui est passif, négatif ou féminin est yin. Ces deux catégories sont symboliquement associées à la lumière et à l'ombre: en chaque chose, le côté lumineux est yang, et le côté obscur est yin : mais comme on ne les trouve jamais l'un sans l'autre, ils apparaissent plus comme complémentaires que comme opposés"26. La compénétration réciproque des deux pôles, qui sont propres à la sphère cosmologique et qui dérivent du Principe absolu non-duel, est symbolisée par le petit point blanc yang dans le champ noir et vice versa, détail qui différencie cette doctrine de toute pensée de type manichéen, fondée sur l'opposition irréductible bien-mal. En effet, les adjectifs mêmes employés par Guénon, positif et négatif, n'ont qu'une valeur technique et doivent être compris dans un contexte privé de connotations moralistes.
La pensée chinoise fait remonter la manifestation du monde au yang et au yin, rapportés aussi au Ciel et à la Terre. En effet, dans les textes sapientiels comme le Tao Te King de Lao-tseu, il est dit que le Tao, le Principe absolu ou "vide suprême", engendre l'Etre comme sa première détermination, au sein duquel se forme la dyade métaphysique du yin et du yang, polarité-racine du Multiple, à savoir de la Manifestation. De leur fusion selon différents équilibres naissent donc les êtres humains, la nature vivante et tout le cosmos. En nous référant à la symbolique des nombres, nous pourrions dire que du Zéro métaphysique (le Tao) naît l'Un (l'Etre), puis de celui-ci le Deux, le yin et le yang, qui, en s'unissant, donnent naissance aux "dix mille êtres". Nous ignorons, en revanche, la signification qu'avaient dans la romanité les deux symboles figurant dans la Notitia dignitatum. Avaient-ils une origine alchimique ? Les couleurs mêmes, jaune et rouge sombre, pourraient recevoir plusieurs interprétations, en raison de leur symbolisme complexe, qui peut aussi varier en fonction du ton. Rappelons seulement qu'en Extrême-Orient, jaune est la direction du Nord, tandis que le rouge sombre est la couleur du Sud. Le jaune est aussi une couleur lumineuse, analogue au blanc ; il est donc solaire et viril, tandis qu'il existe un rouge sombre "nocturne", féminin, que l'on peut rapporter au noir.
La conception de deux pôles complémentaires, opposés en apparence, est beaucoup plus répandue qu'on ne le croit, y compris en Occident, n'en déplaise à l'obsession moderne d'interpréter toute polarité archaïque dans un sens manichéen. Nous devons en outre souligner que, parfois, dans des époques de décadence comme celle du Bas-Empire, certaines données ésotériques "émergent" des courants souterrains du savoir sacré ou, plus souvent, de certaines de ses composantes dégénérées ou en voie de dégénérescence, et sont "popularisées". Elles deviennent alors des symboles dont le sens le plus profond est totalement ignoré, oublié, ne restant en usage que pour leur caractère de "puissance magique" (c'est ainsi que, dans de nombreuses régions, la swastika est réputée positive en raison de sa signification augurale et propitiatoire). De notre point de vue, il est peu important de savoir si le régiment des Armigeri ou celui des Thebei, portait, de fait, des enseignes avec le "yin-yang", même si la chose est vraisemblable en raison du contenu sacral ou, du moins, magique qu'il devait posséder. Il faudrait pouvoir établir si les enlumineurs, qui travaillaient sur le texte des copistes, s'appuyaient sur des données certaines, provenant de l'armée, comme cela est très probable27, ou bien si le programme iconographique était parfois décidé par l'administration, pour distinguer les troupes. De toute façon, l'important, c'est que, dans le cadre de l'élite impériale occidentale, le "yin-yang" était connu.
Quant au problème de l'"émergence" des symboles dans des époques de décadence et de crise, nous ignorons si quelque chose de ce genre se produisit alors, du moins dans les deux cas examinés. On sait en fait que les disques solaires et les runes faisaient partie, à plein titre, du patrimoine "culturel" de l'Occident antique ; le fait de les retrouver parmi les enseignes militaires n'est donc pas surprenant, alors que le "yin-yang" , lui, paraît surgir du néant, si l'on excepte les découvertes celtiques et tunisiennes d'époque romaine, qui devraient être reconsidérées. Nous croyons qu'il serait intéressant d'approfondir cette recherche, notamment de la part des spécialistes de symbolisme ; ceux-ci, à ce qu'il semble, ont fortement négligé la Notitia, document dont le contenu symbolique mérite à notre avis une attention égale, sinon supérieure, à celle qu'on lui a réservée sous l'angle historiographique. En ce qui concerne le point de l'apparition de l'iconographie du "yin-yang" au fil du temps, il faut rappeler que les premières représentations connues de ce symbole en Chine (parmi celles qui nous sont parvenues) remontent au XIe siècle ap. J.-C., même s'il est question de ces deux principes dès les IVe-Ve siècles av. J.-C. Avec la Notitia dignitatum nous sommes aux IV-Ve siècles ap. J.-C., donc, du point de vue iconographique, en avance de près de 700 ans sur les données en provenance de la Chine.
Il est vrai que tout cela ne présente guère d'intérêt sous l'angle "traditionnel", en raison de la nature atemporelle, transcendante et universelle du savoir ésotérique, dérivé d'une Tradition primordiale qui s'est répandue parmi tous les peuples, selon l'enseignement d'auteurs comme Guénon, Coomaraswamy et Evola. Cela, en revanche, pourrait constituer un petit "casse-tête" pour les "spécialistes" de formation historiciste et évolutionniste. Ici, nous avons simplement voulu poser la question dans le cadre des données dont nous avons pris connaissance.

 


Notes

1- G. Clemente, La "Notitia dignitatum", Editrice Sarda Fossataro, Cagliari 1968. Ce livre est une copieuse étude consacrée principalement à l'analyse critique du document du Bas-Empire: époque où il fut compilé, son origine, sa fonction, sa destination et la cohérence des parties qui le composent. A notre connaissance, il s'agit du seul ouvrage sur le sujet qui soit paru en Italie, du moins à ce niveau de précision historiographique. Du même auteur, rappelons aussi: G. Clemente, Guida alla storia romana, Mondadori, Milano 1990. retourn aux texte ^

2- P. Berger, The Notitia Dignitatum, Ann Arbor, 1975. Cette étude est particulièrement attentive aux aspects techniques et formels de l'appareil iconographique, en plus des aspects historiques et artistiques. retourn aux texte ^

3- G. Clemente, La "Notitia", étant absents de la Notitia, sa rédaction doit être attribuée aux milieux aristocratiques, conservateurs et païens de Rome, et non à la cour impériale déjà christianisée. Cette remarque de l'historienne américaine ne nous semble pas pertinente, tant en raison du fait que la première compilation du document dut être antérieure à l'époque caractérisée par l'intolérance religieuse contre les "païens", qu'en raison de la présence dans le document de nombreux symboles chrétiens, peut-être négligés par P. Berger. D'ailleurs, plus loin cet auteur révise son affirmation initiale et envisage l'hypothèse d'une rédaction dans les milieux de la cour (ibid., pp. 167-168). retourn aux texte ^

4- A. Cameron, Il tardo impero romano, tr. it., il Mulino, Bologna 1995, p. 40. retourn aux texte ^

5- G. Clemente, La "Notitia", op. cit., p.369. retourn aux texte ^

6- Ibid., p.382. retourn aux texte ^

7- P. Berger, Op. cit., pp. 20 et 23.. retourn aux texte ^

8- P. Berger, à partir de données paléographiques, croit pouvoir affirmer que le manuscrit médiéval fut compilé entre 825 et le début du XIe siècle (ibid., p. 23). On retrouve des motifs stylistiques de la Notitia tant dans l'art carolingien que dans l'art ottonien. retourn aux texte ^

9- R. Sabbadini, in Studi italiani di filologia classica, XI, 1903, p. 258. ur cette copie du manuscrit de Spire, on voit une inscription de Pietro Donato lui-même, qui informe le lecteur sur des faits et dates relatifs à cette rédaction (P. Berger, Op. cit., p. 37). retourn aux texte ^

10- O. Seeck (éd.), Préface à la Notitia dignitatum, Wiedmann, Berlin, 1876, pp. IX et XXVIII. Sur les efforts d'Otton pour obtenir une copie des dessins fidèle à l'original, cf. P. Berger, Op. cit., pp. 42-49. retourn aux texte ^

11- F. Altheim, Il dio invitto, tr. it., Feltrinelli, Milano, 1960, pp. 147-148. Sous un autre angle, Altheim s'est intéressé aux relations qui existèrent à l'époque préhistorique entre Asie et Europe dans son essai Primi rapporti tra Oriente e Occidente, in I Propilei. Grande Storia Universale, Mondadori, Milano, 1968. retourn aux texte ^

12- F. Atheim, Runen als Schildzeichen, in Klio, 31, 1938, pp. 51-59. retourn aux texte ^

13- Sur la signification de ces runes, cf. M. Polia, Le rune e i simboli, il Cerchio - il Corallo, Padova 1983. retourn aux texte ^

14- F. Altheim, Art. cité, p. 53. Je remercie le Dr G. Kirschner pour la traduction de ce passage d'Altheim. retourn aux texte ^

15- Ibid., p. 54. retourn aux texte ^

16- R. Alleau, La science des symboles, Payot, Paris, 1996. retourn aux texte ^

17- O. Seeck (éd.), Notitia dignitatum, op. cit., p. 118. Dans le texte édité par Seeck, où les figures sont en noir et blanc, les différences chromatiques sont rendues par des hachures. En ce qui concerne l'aspect iconographique, nous nous référons principalement à l'édition de Seeck dans la mesure où elle est la plus fiable pour la précision graphique et parce qu'elle s'appuie sur le manuscrit conservé à Munich, à la Bayerische Staatsbibliothek (Département des manuscrits), où nous avons pu vérifier personnellement la fidélité de l'édition de Seeck au modèle (grâce à l'aimable collaboration de Mme Foohs, que nous tenons à remercier). Nous n'avons noté que de très rares détails différents, se rapportant exclusivement aux couleurs ; mais rien ne concerne les symboles dont nous parlons ici. On trouve plusieurs planches couleurs, reproduisant des pages de la copie de la Notitia dignitatum conservée à Oxford, dans l'intéressant ouvrage de Tim Cornell et John Matthews, Atlante del mondo romano, tr. it., Istituto Geografico De Agostini, Novara, 1984, en particulier pp. 202-203. Ces rares exemples permettent donc d'apprécier aussi la qualité artistique de ce vieux manuscrit du Bas-Empire, qualité peu visible dans l'édition de Seeck et dans les nombreuses autres copies en noir et blanc qui en furent faites durant les derniers siècles. retourn aux texte ^

(*)-  Littéralement, ce terme signifie le "Suprême-Faîte". Jean-Christophe Demariaux définit ainsi, dans un excellent petit livre, la "place" du Taiji dans la cosmologie traditionnelle chinoise: "Identifié au " vide suprême " qui donnerait du Tao une figuration adéquate, ce dernier apparaît alors comme le Non-Etre (wu) ou le " sans-faîte " (wuji) de l'Univers. Pour que ce vide se manifeste, le Tao doit accéder à l'Etre (you). Accédant à l'Etre, il devient Unité: sa détermination première constitue le " Suprême-Un " (taiyi) dont le corollaire est le " Suprême-Faîte " (taiji)" (Le Tao, Cerf-Fides, Paris-Montréal, 1990, p. 39) [N.d.T.]. retourn aux texte ^

18- G. Clemente, La "Notitia dignitatum", op. cit., p. 27. retourn aux texte ^

19- P. Berger, Op. cit., p. 41. retourn aux texte ^

20- O.Seeck (éd.) Notitia dignitatum, op. cit., p. 115. Nous désirons signaler aussi la présence d'un autre dessin où l'on peut reconnaître de nouveau le yin-yang sous une forme dynamique (il s'agit de l'enseigne des Mauriosismiaci). Seeck le représente de façon monochrome, alors qu'en réalité l'original est jaune d'un côté et gris pâle de l'autre. Il s'agit précisément d'un des très rares cas d'"infidélité" à imputer au savant allemand. [Nous avons aussi trouvé cette représentation "dynamique", dextrogyre, du symbole du yin-yang comme emblème des Mauriosismiaci dans un catalogue paru à l'occasion du XVe centenaire de la fondation de l'abbaye de Landévennec: cf. Jean-Pierre Gestin (sous la dir. de), Landévennec, 485-1985. Aux origines de la Bretagne, Association Landévennec-Conseil général du Finistère, Daoulas, 1985. Elle figure p. 21 (quatrième rangée en partant du haut, deuxième emblème en partant de la gauche) sur une planche couleurs reproduisant une page de la Notitia dignitatum, celle, dit la légende, des troupes du Tractus armoricani et nervicani. L'exemplaire utilisé est une copie du XVe siècle de la Notitia conservée à la Bodleian Library d'Oxford [N.d.T.]. retourn aux texte ^

21- L. Boulnois, La route de la soie, Olizane, Genève, 1992. retourn aux texte ^

22- J. Needham, Science et civilisation en Chine, Picquier, Paris, 1995. retourn aux texte ^

23- Cf. S. Mahdihassan, Comparing Yin-Yang, the Chinese symbol of creation, with Ouroboros of Greek alchemy, in Am. J. Chin. Med., 1989, 17. pp.95-8. retourn aux texte ^

24- P.-M. Duval, Les Celtes, Gallimard, Paris, 1977. Je dois cette information sur les Celtes au professeur Alessandro Grossato. retourn aux texte ^

25- Ivi, p.282. retourn aux texte ^

26- R. Guénon, La Grande Triade, Gallimard, Paris; 1995. Sur cette question et, plus généralement, sur les doctrines sapientielles chinoises, cf. Matgioi (pseudonyme d'Albert de Pouvourville), La Voie métaphysique, Librairie de l'art indépendant, Paris, 1905 (rééd.: Chacornac, Paris, 1936 et 1956) ; P. Filippani-Ronconi, Storia del pensiero cinese, Bollati-Boringhieri, Turin, 1992 ; J. Evola, Il Taoismo, Mediterranee, Roma, 1972, tr. fr.: Le Taoïsme, Pardès, Puiseaux, 1989 ; M. Granet, La Pensée chinoise, La Renaissance du Livre, Paris, 1934 (rééd.: Albin Michel, Paris, 1980) ; J. C. Cooper, Taoism. The Way of the Mystic, Aquarian Press, Wellingborough, 1972 (tr. fr.: La philosophie du Tao, Dangles, Saint-Jean-de-Braye, 1977) ; A. Medrano, El Taoismo y la inmortalidad, Ano Cero, Madrid, 1994 ; R. Wilhelm et E. Perrot (éd.), Yi King. Le Livre des Transformations, 2e éd., Librairie de Médicis, Paris, 1971. retourn aux texte ^

27- P.Berger, Op. cit., p. 157. retourn aux texte ^

Giovanni Monastra

traduit de l'italien par Philippe Baillet

Giovanni Monastra est né en 1952. Docteur en biologie, il a soutenu une thèse d'Anthropologie physique à l'université de Padoue en 1981. Depuis 1983, il travaille pour une firme pharmaceutique de la Vénétie. Il a effectué plusieurs recherches sur la biochimie des neurotransmetteurs, avant de passer une année (1990) à la Yeshiva University (New York) en qualité de Visiting Assistant Professor. Il a publié de nombreux articles scientifiques dans des revues italiennes et étrangères. Auteur d'une longue préface au livre du paléontologue Roberto Fondi, La Révolution organiciste. Entretien sur les nouveaux courants scientifiques (Livre-Club du Labyrinthe, Paris, 1986), il collabore à plusieurs revues culturelles italiennes, dont notamment Diorama letterario, Trasgressioni et Futuro Presente, ainsi qu'à la revue américaine Sophia. A Journal of Traditional Studies, dirigée par le professeur Seyyed Hossein Nasr. Giovanni Monastra poursuit actuellement des recherches en immuno-pharmacologie et prépare un livre sur la vie et l'Öuvre du penseur traditionaliste anglo-indien Ananda Kentish Coomaraswamy. Des articles de lui, traduits en français, ont paru dans les revues Politica Hermetica, Krisis et Nouvelle Ecole. Il a aussi collaboré au récent "Dossier H" consacré à Julius Evola (L'Age d'Homme, Lausanne-Paris, 1997).

 

 

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Ultima modifica: Articolo inserito in data: mercoled� 16 dicembre 1998.

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